Égypte

LES PYRAMIDES CACHENT TOUJOURS LEURS SECRETS

Une opération à plus de trois millions de dollars… pour percer un mystère ancestral. La très sérieuse mission Scan Pyramids, regroupant une trentaine de chercheurs et d’ingénieurs de plusieurs pays, va tenter avec du matériel et des technologies high-tech de trouver des cavités encore dissimulées dans quatre des plus célèbres pyramides. 

Leurs constructions restent un puzzle insoluble et, devant elles, l’humanité entière reste pantoise. Les conquérants de la Terre, Alexandre, César, Napoléon, accompagnés de géomètres, de savants et de bâtisseurs, se sont interrogés. César aurait pu découvrir la clé de l’énigme, si la bibliothèque d’Alexandrie et avec elle l’inestimable histoire de l’Egypte en trois volumes écrite par le prêtre égyptien Manéthon, au IIIe siècle, n’avaient brûlé pendant le siège. 

Depuis, des centaines d’archéologues, architectes, égyptologues ont échafaudé des théories qui ont suscité d’autres questions. Personne ne peut dire aujourd’hui avec certitude comment ont été élevés ces colosses qu’on prenait au Moyen Âge pour des greniers à blé. Napoléon calcula qu’avec les pierres des 107 pyramides, on pourrait entourer la France d’un mur de 3 mètres de hauteur sur 30 centimètres de largeur. 

La plus célèbre, Khéops, n’a cessé d’attirer pillards, mystiques et chasseurs de trésors depuis 4500 ans. La 7e merveille du monde s’étend sur 5 hectares. Elle pourrait contenir le Vatican ou quatre-vingts exemplaires de notre Arc de triomphe, avec ses 146,59 mètres de haut et ses côtés longs de 230 mètres. Au IXe siècle, le calife Al-Ma’mun força son entrée à la pioche, au vinaigre et par le feu. Il découvrit les énigmes d’aujourd’hui : une chambre souterraine abandonnée, une chambre dite de la reine, Isis, qui n’a jamais abrité d’épouse royale, la chambre dite du roi, où le calife buta contre un sarcophage vide, et, enfin, quatre conduits mystérieux. Al-Ma’mun ressortit de là bien penaud avec, pour seul butin, une statuette de Khéops en ivoire de 7,5 centimètres.

CARTOGRAPHIER LES MONUMENTS

En novembre 2015, une trentaine d’ingénieurs et scientifiques canadiens, japonais, français et égyptiens ont relevé le défi. Leur objectif : radiographier pendant un an, au millimètre, les quatre grandes pyramides de la IVe dynastie (2561-2450 avant J.-C.) afin d’établir une cartographie complète et inédite. À leur disposition, un matériel digne de la conquête spatiale.

Les équipes se sont installées devant la pyramide sud, dite rhomboïdale, et la pyramide nord, appelée rouge, toutes deux élevées sur le site de Dahchour pour Snéfrou, premier roi de cette dynastie. 

Suivront celles de Khéops et de Khéphren, bâties sur le plateau de Gizeh, à une vingtaine de kilomètres du Caire. Deux caméras thermiques infrarouges ont sondé pendant dix jours, à divers endroits et moments de la journée, les quatre faces des quatre monuments funéraires. 

Ces caméras ont révélé un phénomène jamais constaté : plus d’une dizaine d’anomalies thermiques, prouvant des écarts de température de 1,5 °C minimum. Sur la face est de Khéops, des bizarreries encore plus emblématiques. L’une au niveau du sol, sur une surface de 3 mètres carrés, présente des écarts de 6 °C. En hauteur, aux deux tiers de la construction, trois autres points plus petits, alignés, montrent une différence de 2 °C. « Tout cela ressemble a priori à de l’air chaud qui sort, mais d’où vient-il ? » demandent les directeurs de la mission Scan Pyramids, le Français Mehdi Tayoubi et l’Égyptien Hany Helal, tous deux fondateurs de l’Institut HIP (Héritage, Innovation, Préservation). 

« Des petites pièces ? Des matériaux de différentes natures ? Une anomalie structurelle ? Des vides de construction ? Des zones d’éboulements de pierres ? Nous ne le savons pas encore, la mission n’a effectué qu’un dixième de son programme ! »

Dans les jours qui viennent, sur les quatre mêmes faces de chaque pyramide, mais à des endroits fixes, les caméras installées par l’université Laval, à Québec, et par la faculté des sciences du Caire filmeront vingt-quatre heures chrono. Cela permettra d’affiner les premiers résultats. Après quoi des ingénieurs de Dassault Systèmes feront des simulations thermiques pour tenter de comprendre et d’affiner différentes hypothèses en 3D de structure.

Enfin, pendant neuf mois, deux caméras resteront fixées sur les points les plus intrigants. L’étude des muons est la spécialité des Japonais de l’université de Nagoya. Formées lors de collisions entre les rayons cosmiques, provenant des hautes couches de l’atmosphère, ces particules élémentaires « arrosent » continuellement notre planète. Elles l’atteignent à la vitesse de la lumière, 300 000 km/h, au nombre de 10 000 par mètre carré et par minute. 

S’ils épargnent le corps humain, les muons transpercent allègrement les chaînes montagneuses, les volcans, et pénètrent même les entrailles des centrales nucléaires. Des universitaires de Nagoya ont utilisé leur savoir sur les muons pour situer la radioactivité dans la centrale de Fukushima.

Aujourd’hui partenaires de la mission Scan Pyramids, ils viennent d’installer quarante plaques contenant des films sensibles à ces particules cosmiques dans la chambre basse de la pyramide rhomboïdale, ainsi que des capteurs tests dans la chambre dite de la reine, à Khéops. Des « scintillateurs électroniques » pourront aussi être placés à l’extérieur des pyramides, aux endroits choisis en fonction des anomalies thermiques. Ils permettront peut-être de différencier des zones de vide pénétrées sans problème par les muons, et des zones plus denses où ces mêmes muons auront été absorbés, ralentis ou déviés. 

Tout l’art de la mesure est d’accentuer les contrastes. « L’ensemble de ces données accumulées pendant des mois nous aidera à générer des images suffisamment contrastées pour être lisibles et obtenir une cartographie inédite des structures internes des pyramides », poursuit Mehdi Tayoubi. 

La mission Scan Pyramids se gardera d’interpréter ces millions de données et paramètres. 

« Nous souhaitons susciter le débat avec les égyptologues et les archéologues. Ce sont eux qui aideront à lire le résultat de nos recherches. »

— Mehdi Tayoubi, codirecteur de la mission Scan Pyramids

Dernier volet, français celui-là, de la mission Scan Pyramids : deux drones vont survoler pendant quinze jours le plateau de Gizeh et de Dahchour et les numériser grâce à la photogrammétrie. Au sol, des scanneurs laser, précis au millimètre près, reconstitueront l’intérieur du mystère. Le tout en 3D. Disponibles en « open data » pour les chercheurs du monde entier, mais aussi sur le site internet pour le public, ces relevés géométriques ultraprécis sont une première. 

ENCHÈRE DE THÉORIES

Ils mettront peut-être d’accord tous les pyramidomaniaques. Citons les théories fumeuses ou poétiques. Les pyramides ? Des piles électriques géantes apportées sur Terre par les extraterrestres. D’imposants calendriers de l’histoire de l’humanité. L’endroit qui scelle toutes les mesures terrestres… D’ici à un an, on saura peut-être comment, avec les outils de l’époque, on a pu hisser à 43 mètres du sol, au-dessus de la chambre funéraire du roi, de gigantesques poutres de granit d’Assouan, pesant pour certaines 60 tonnes. 

Concernant Khéops, des architectes ont supposé l’existence d’une rampe extérieure en pente douce permettant de construire les deux premiers tiers de la pyramide. Des blocs de pierre taillée et de la boue y auraient été déposés afin de glisser aisément. Une rampe intérieure en spirale aurait ensuite été installée pour achever l’édifice. Ces rampes pourraient expliquer les espaces vides. 

D’autres affirment qu’il existerait deux antichambres non découvertes, et un circuit de corridors par lequel serait passé le sarcophage du roi, lors de ses funérailles. Pour d’autres, enfin, les chambres et couloirs ne seraient que des passages aménagés lors des travaux préparatoires, et transformés en leurre pour désorienter les pilleurs. Il n’est pas exclu que les bâtisseurs géniaux aient multiplié les obstacles et fausses pistes pour nous égarer. Les scientifiques de Scan Pyramids se donnent au minimum un an pour trouver le début d’un chemin : celui qui, espèrent-ils, mène à la solution.

RESSUSCITER LE TOURISME

Mises sur pied par l’association française Institut HIP et pilotées par des ingénieurs de l’université du Caire, les investigations ciblent deux énigmes majeures de l’égyptologie : le tombeau de la reine Néfertiti et le procédé de construction de ces monumentales sépultures. La mission, qui devrait durer un an, accompagne le grand chantier culturel décidé par l’Égypte pour relancer le tourisme. Deux nouveaux musées, colossaux, devraient ouvrir entre 2016 et 2018 à Gizeh, tandis que celui de la place Tahrir, au Caire, sera entièrement restauré.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.